Le Maroc expliqué à Hollande
Le Maroc expliqué à Hollande
Par Tahar Ben Jelloun (@Tahar_B_Jelloun) le 05/06/2014 à 12h32
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Les politiques français aiment bien les pays qui les maltraitent. Regardez comment et combien ils craignent l’Algérie. Aucun dirigeant politique français n’aurait
osé comparer l’Algérie à "une maîtresse qu’on n’aime pas, mais avec qui on est obligé de coucher". Jamais un magistrat n’aurait envoyé à la résidence de l’ambassadeur algérien
une convocation à comparaitre à un haut responsable de cet Etat.
Le Maroc est considéré comme "l’ami de la France". Que ce soit sous François Mitterrand ou sous Jacques Chirac, il a toujours été
traité avec respect et considération. Non par complaisance mais simplement parce que ce pays est un bon client et que le protectorat ne s’est pas achevé par une guerre terrible comme c’était le cas en Algérie.
La mémoire commune n’est pas faite de blessures et de rancœur jamais apaisées. Nos amis socialistes ont toujours eu un préjugé à l’égard de la monarchie marocaine. Ils ont toujours exprimé
leur préférence pour une république. Ce n’est pas bien grave. Le principal n’est-il pas de respecter le choix du peuple ?
Alors, qu’est-ce qui coince ? Un manque de sensibilité, une sorte de désinvolture
et par dessus tout une méconnaissance de l’âme marocaine. Le rôle d’un diplomate n’est-il pas de sonder cette âme et d’aller au-delà des apparences afin d’informer sa hiérarchie ? Apparemment,
l’incident de la convocation d’un responsable marocain en février dernier a échappé aussi bien au ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Valls qu’à Mme Taubira, ministre de la Justice.
La suite n’a rien arrangé. La tension dure, les bavures continuent et M. Hollande ne bronche pas. Je le comprends, il a tellement de tuiles en ce moment qu’il ne sait même plus ce qui s’est passé. Il l’a su mais
il l’a oublié. Le fait d’être si bas dans les sondages porte gravement atteinte à la vigilance et à l’amitié qu’on oublie de développer ou de restaurer quand elle a été mise
à mal par des fonctionnaires sans envergure et sans vision politique.
Alors, j’ai envie de m’adresser à François Hollande et lui dire ceci : Monsieur le Président, je sais, vous n’êtes pas gâté
en ce moment par ce qui se passe. La défaite des municipales, la victoire insolente du Front national et le chômage qui ne vous obéit pas, car sa courbe n’a nullement l’intention de s’inverser. Ce n’est pas le moment
de vous faire des reproches, mais peut-être faudrait-il vous pousser à changer d’attitude, à bouger et à prendre des initiatives qui vous sortiraient de cette impasse où tout le monde vous pousse y compris vos amis.
Le Maroc n’est pas le genre de pays qu’on traite par dessus la jambe. Les Marocains sont sensibles à la manière dont on se comporte avec eux. Laissez les fonctionnaires repenser les accords judiciaires. Prenez votre avion
et rendez visite au roi, une visite de courtoisie et aussi de travail. Ne laissez pas la tension s’aggraver. Personne n’y a intérêt. Prenez deux jours de vacances, loin des tribulations des uns et des autres, loin des bruits et des
mauvaises nouvelles.
Je sais Monsieur le Président, vous êtes débordé et l’Europe n’attend pas. Certes, mais n’oubliez pas que le Maroc est lui aussi concerné par le devenir de cette Europe accaparée
pour le moment par des extrémistes populistes et xénophobes. Le Maroc a besoin qu’on défende ses exportations et qu’on respecte son identité. Je vous parle de tomates et d’oranges. Je vous parle de pêche
et de développement, d’investissements et de progrès. Tout cela vous l’aviez constaté lors de votre voyage d’Etat l’an dernier. Ayez de l’imagination et faites quelque chose qui nous étonnera tous,
Français et Marocains, osez un geste fort et symbolique, penchez-vous sur l’Histoire du Maroc, ayez une vision plus large, plus ambitieuse. Je suis sûr que cela vous portera bonheur.
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